Le poison de la division : ce que Hamé n’a pas compris à propos de l’identitarisme

PoingHamé a pris la plume contre διάβολος, celui qui divise : en français, le diable. C’est contre cette division qu’il veut se dresser, dans un élan plein de bonnes intentions. Mais son texte1, plutôt que de travailler à l’union, se perd dans la confusion. Il déplore une « guerre des identités » qui opposerait, selon lui, une « identité majoritaire » contre des « identités minoritaires et dominées », mettant ainsi dos à dos oppresseurs et opprimé·e·s. Sa métaphore de la myopie qui permet de voir mieux de près, les petites causes, mais fait perde la vision lointaine, les grandes causes, vise évidemment toutes les luttes jugées secondaires, « fragments de niches », qui diviseraient le peuple entre « ontologies de souche, de genre, de race, d’orientation x, de confession y, de traditions z ».

« Identités », « ontologies »… les dominé·e·s seraient donc, comme l’extrême droite, identitaires ? C’est là le cœur de l’erreur de Hamé. L’identitarisme part de l’idée d’identité, c’est à dire de l’idée qu’une entité est identique à elle-même. Partant de cette idée, tout changement est vu comme une corruption : si la France est la France, alors quand la France change, ce n’est plus la France. La France doit donc être défendue dans son véritable être, qui est pensé comme immuable.

Or, les combats antiracistes, féministes, LGBTI+, contre la psychophobie, etc., ne partent pas d’une vision identitaire, d’une idée de fixité de l’être. On a d’ailleurs assez reproché aux études de genre le fait qu’elles dénaturalisent la division entre femmes et hommes, et les antiracistes et autres décoloniaux rappellent que la race n’existe que comme construction sociale. Leur vision est donc parfaitement opposée à l’identitarisme qui pose les entités (race, nation, sexe, etc.) comme fixes et éternelles.

Contrairement à des « oppositions identitaires », il s’agit donc précisément de se défaire des identités auxquelles la domination nous assigne : dépasser la race, dépasser le genre, dépasser la nation, dépasser la classe. Car si ces petites luttes de « myopes » étaient des « identités minoritaires » qui s’opposent aux « identités majoritaires », pourquoi en serait-il autrement de la classe sociale ? On me répondra à raison que les luttes de classe ne visent pas à fixer les rapports de classes, mais à les dépasser, en vue d’une société sans oppression de classe. C’est exactement le même mouvement anti-identitaire qui meut les luttes sociales sur les autres fronts : les dominé·e·s ne se battent pas pour se fixer dans une identité mais pour se libérer des rapports de domination que ces catégories leur imposent, et cette lutte se fait généralement par la critique de la naturalisation de ces rapports.

L’universalisme est, il est vrai, rejeté par beaucoup de ces courants, ce qui peut laisser penser qu’ils sont facteurs de division, puisqu’ils mettent l’accent sur le particulier de leurs luttes plutôt que le grand Tout uni, l’universel. Mais pour espérer que ces luttes fassent un pas vers l’universalisme, on ne peut pas définir l’universel comme un tout dont elles ne font pas partie. L’universel se construit précisément par la libération des opprimé·e·s et leur accession à l’égalité réelle. Les luttes de classe, de race, de genre et toutes les autres luttes d’émancipation, ne produisent pas de division mais, au contraire, travaillent à la concrétisation de l’universel. Certains ont voulu séparer les luttes sociales entre elles en les hiérarchisant entre luttes « sociétales » et luttes sociales, soit pour délégitimer les luttes de classe en mettant en avant la « diversité » dans la « réussite », soit pour déclasser les autres revendications égalitaires en les présentant comme « secondaires ». Mais toutes ces luttes sont sociales, car toutes réclament l’égalité. Il faut résister contre la division, oui, lutter ensemble pour s’émanciper de toutes les oppressions : classe, race, genre, etc. C’est en brisant les chaînes de l’oppression qu’on renforce le nombre de celles et ceux qui peuvent se tenir uni·e·s, main dans la main.

Edit du 20 décembre 2021 : Un article du collectif Les mots sont importants paru en 2010 (et publié sur leur site en 2015) exprime sans doute mieux que moi l’idée que j’ai voulu développer ici, je vous invite à le lire : Vous avez dit « sociétal » ?

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